Regard sur les Etats-Unis

vendredi 16 avril 2010

La montée en puissance de Sarah Palin


Perdre à l’élection présidentielle américaine n’est pas systématiquement synonyme de « mort politique » aux Etats-Unis. L’exemple parfait d’une « reconversion » réussie : Sarah Palin. La colistière de John McCain sur le ticket républicain à l’élection présidentielle de novembre 2008 n’a jamais été si populaire outre-Atlantique.

Analysons à présent la montée en puissance de l’ex-gouverneur de l’Alaska (du 4 décembre 2006 au 26 juillet 2009).

Acte fondateur de la véritable renaissance politique de Sarah Palin : l’annonce, lors d’une conférence de presse, de sa décision de ne pas se représenter à l’élection du gouverneur de l’Etat de l’Alaska ayant pour conséquence une démission à compter du 26 juillet 2009. Les analystes politiques ne parviennent alors pas à s’entendre sur les raisons d’une telle décision.

Le 17 novembre 2009, Sarah Palin sort de sa réserve et publie « Going Rogue : An American Life ». Edité chez HarperCollins, les mémoires de Sarah Palin se sont déjà écoulées à près de 2,2 millions d’exemplaires : un véritable bestseller. Dans cet ouvrage, l’ex-candidate à la vice-présidence des Etats-Unis règle ses comptes avec ses détracteurs (notamment la plupart des médias américains) et présente sa vision de la foi. Bref, un ouvrage en droite ligne avec ses convictions de républicaine conservatrice : anti-avortement, membre de la National Rifle Association (le lobby pro-armes à feu américain), opposée au mariage homosexuel et favorable à la peine de mort.

Pourtant, Sarah Palin est un acteur de la vie politique américaine plus complexe qu’elle n’y paraît. Tout d’abord, et on s’en serait douté, Sarah Palin est une redoutable femme d’affaire. Son éditeur a dû lui faire une avance d’1,5 millions de dollars pour la publication de ses mémoires. Cette somme, certes relativement conséquente, ne constitue pourtant qu’un complément de revenu. Sarah Palin est également omniprésente à la télévision américaine. En dehors de la promotion de son ouvrage, deux chaines de télévision (Fox News et TLC) lui versent plusieurs millions de dollars : l’une pour une série documentaire consacrée à sa vie, l’autre pour ses compétences d’experte en politique. Sarah Palin est également la présentatrice du show populaire « Real American Stories ».

En plus de ses activités lucratives, Sarah Palin est désormais devenue l’une des conférencières les mieux payées aux Etats-Unis. Selon les estimations des médias américains, certaines de ses prestations seraient rémunérées plus de 100 000 dollars. Le network ABC avance même le chiffre de 12 millions de dollars cumulés depuis sa démission datée du 26 juillet 2009.

Si une majorité de la population américaine estime toujours qu’il lui est impossible d’exercer une quelconque fonction officielle, il pourrait s’avérer dangereux de sous-estimer ses réelles capacités.     

Sarah Palin est véritablement entrain de devenir l’une des valeurs montantes du parti républicain. Farouchement opposée à l’establishment politique démocrate, Sarah Palin a participé ces dernières semaines à de nombreuses manifestations du mouvement des « Tea Parties », les principaux opposants à la politique budgétaire de Barack Obama. Si ce mouvement demeure relativement minoritaire (selon les derniers sondages, seuls près de 18 % des américains s’identifieraient au mouvement des Tea Party), il n’en demeure pas moins omniprésent dans les médias américains et commence sérieusement à inquiéter l’administration du Président Obama.

Si Sarah Palin a soigneusement refusé de prendre la direction du mouvement des Tea Parties, elle continue néanmoins de s’impliquer activement en politique. Preuve s’il en est de son activisme, Sarah Palin est sollicitée par les ténors du parti républicain en perte de vitesse. Ses derniers mois, elle s’est personnellement impliquée dans plusieurs campagnes électorales et est notamment venue prêter main forte au gouverneur du Texas afin de favoriser son élection.

Qu’on le veuille ou non, Sarah Palin est devenue l’égérie du mouvement des patriotes conservateurs farouchement opposés à la politique, qualifiée de socialiste, de leur Président. Fiers de défendre leurs valeurs, les principaux opposants politiques du parti démocrate n’hésitent plus à parcourir des milliers de kilomètres pour se faire entendre jusqu’à Washington. Soutenus par de puissants réseaux médiatiques, les membres du Tea Party tentent de déplacer le débat vers la droite de l’échiquier politique américain. Un calcul  qui pourrait s’avérer risqué : la plupart des analystes estiment que lors de la prochaine élection présidentielle, les conservateurs devront rallier une partie de l’électorat centriste pour espérer l’emporter. Certains estiment au contraire qu’il ne faudrait pas sous-estimer l’importance des réfractaires au projet de société porté par l’administration Obama.

C’est justement le pari qu’est entrain de faire l’équipe de Sarah Palin : présenter une véritable alternative à la politique actuelle. Reste à savoir si ce pari réussira. Quoi qu’il advienne, Sarah Palin est entrain de renforcer sa stature de future candidate à l’élection présidentielle et se positionne d’ores et déjà comme l’une des contestatrices les plus radicalement opposées à la politique d’Obama. Une stratégie à suivre…

samedi 3 avril 2010

Réforme du système de santé adoptée : un vote historique



Cette fois, c’est fait. La grande réforme du système de santé américain a définitivement été adoptée par le Congrès puis été promulguée par le Président Barack Obama.

Il aura donc fallu près de 15 mois d’âpres négociations pour parvenir à ce vote qualifié « d’historique » par bon nombre de commentateurs politiques.

Cette réforme constituait en effet l’un des principaux engagements de campagne du candidat démocrate lors de l’élection présidentielle de 2008. Depuis Lyndon Johnson en 1965 (le Président américain ayant promulgué les deux programmes Medicare et Medicaid), jamais aucun Président n’était parvenu à faire passer une véritable réforme du système de santé aux Etats-Unis.

Le programme Medicare est destiné aux personnes âgées de plus de 65 ans ayant cotisé au moins pendant 10 ans (le programme fédéral étant en partie financé par un impôt s’élevant à près de 2,9% du salaire) et aux personnes handicapées de moins de 65 ans. Ce programme permet de couvrir, en partie, les dépenses de santé des personnes éligibles et est constitué de 4 fonds distincts : un fonds d’assurance hospitalière, un fonds d’assurance médicale, un fonds de couverture combiné avec un assureur privé et un fonds en faveur de la désintoxication.

Le programme Medicaid est, quant à lui, destiné aux personnes ayant de faibles revenus, les personnes âgées et les handicapés. Ce programme est cofinancé par le gouvernement fédéral et les Etats fédérés qui ont en charge sa gestion. Le programme Medicaid est assimilable à un programme de sécurité sociale. Si le Congrès définit les grandes lignes du programme au niveau national, le programme est géré localement par les Etats fédérés. Les règles d’admissibilité sont donc différentes dans chaque Etat fédéré. Certaines personnes sont admissibles aux deux programmes.

Il s’agit donc d’une grande victoire politique pour Barack Obama.

L’adoption de cette loi n’aura pourtant pas été simple…

Alors que la partie semblait encore être bien engagée il y a quelques semaines, un événement politique a très fortement retardé l’adoption de la réforme du système de santé. Contre toute attente, le 19 janvier 2010, le candidat républicain Scott Brown remporte l’élection sénatoriale du Massachussetts. Avec près de 51,9% des voix, Scott Brown succède à Edward Kennedy. Cette victoire est dotant plus inquiétante pour le camp démocrate, qu’elle a été remportée dans un Etat votant traditionnellement à gauche (tel fut notamment le cas lors de l’élection présidentielle de 2008).

ELECTION DE SCOTT BROWN (R) : LA TRAGEDIE DEMOCRATE

Cette victoire du camp républicain aurait pu être anecdotique si elle n’avait pas fait perdre aux démocrates leur majorité qualifiée au Sénat (les démocrates ne détenant plus que 59 sièges au lieu de 60).  En perdant cette majorité qualifiée au Sénat, les démocrates ont donc perdu davantage qu’une simple campagne électorale : les républicains pouvaient désormais se mener à des manœuvres d’obstruction (ou « filibustering » qui consistent notamment à se lancer dans des débats interminables destinés à retarder l’adoption d’un texte).

UN SUSPENSE INSOUTENABLE

Plusieurs scénarios étaient alors envisageables : soit la Chambre des représentants se prononçait en faveur de la version du projet adoptée par les sénateurs, soit elle décidait de voter en faveur de sa propre version (le texte passerait alors ensuite par une procédure de vote à la majorité simple au Sénat) ce qui risquait de considérablement retarder l’adoption de la réforme. La dernière option consistait à abandonner ces versions pour se concentrer sur l’élaboration d’une nouvelle version, moins ambitieuse, mais bipartisane.

UN PREMIER VOTE TEMPORAIRE

Finalement après plus de 10 heures de débats, les membres de la Chambre des représentants ont adopté la réforme du système de santé (219 voix pour / 210 voix contre et 2 parlementaires indécis). Il aura fallu attendre jusqu’à 23h57 pour que le texte de loi soit adopté. Il suffisait d’atteindre les 216 voix pour parvenir à ce vote historique.

Peu de temps après ce vote, le Président décide de s’exprimer depuis l’East Room de la Maison Blanche, signe que l’on venait d’assister à un instant politique fatidique de son mandat. D’une seule phrase, Barack Obama est parvenu à résumer l’atmosphère euphorique de son camp après plusieurs mois de combats acharnés : « nous avons prouvé que nous restions un peuple capable de grandes choses ».

Dès lors, le temps presse. La Maison Blanche précise que la réforme devrait rapidement être promulguée.

Le lendemain du vote, la presse américaine qualifie l’adoption de la réforme d’acte « historique ». Néanmoins, certains médias considèrent que le débat n’est toujours pas clôt. Certains journaux de droite avertissent que ce vote pourrait coûter cher au camp démocrate lors de l’élection législative de novembre prochain.

Mardi, le camp démocrate savoure sa victoire. Dans une ambiance euphorique, le président a promulgué la loi, entouré de nombreux parlementaires et membres de son administration. L’instant est symbolique, près de 32 millions d’américains privés de couverture santé se voient offrir une couverture santé dont ils étaient dépourvus. « Nous saluons l’avènement d’une nouvelle ère aux Etats-Unis » prononça Obama au cours d’un discours partisan.

Reste désormais à expliquer davantage la réforme à ses concitoyens afin de les convaincre plus massivement (une majorité d’entre eux étant toujours hostile à son instauration). Barack Obama décide donc d’immédiatement planifier un premier meeting, jeudi dans l’Iowa.

L’OFFENSIVE FINALE REPUBLICAINE

Mais jeudi : coup de théâtre ! En raison d’un vice de procédure, la loi promulguée par Barack Obama le 23 mars doit faire l’objet d’un nouveau vote.  La nouvelle est annoncée par le porte-parole de la majorité démocrate au Sénat, Harry Reid, en personne. Le camp républicain, farouchement opposé à l’adoption de la réforme, est parvenu à trouver deux dispositions mineures constituant des vices de la procédure du Sénat.

Dès lors, les parlementaires vont devoir renvoyer pour vote un additif au premier ensemble législatif. Cet addendum fut finalement adopté par le Sénat (56 voix pour / 46 voix contre) et par la Chambre des représentants (220 voix pour / 207 voix contre).

UN SECOND VOTE HISTORIQUE

Si les démocrates ont quelque peu été refroidis par les dernières velléités républicaines, l’adoption de cet additif s’avère en réalité beaucoup plus contraignants pour ces derniers. En effet, profitant de cette ultime opportunité, les démocrates en ont profité pour inclure des dispositions accroissant l’interventionnisme étatique (augmentation de la contribution des gros contribuables, amélioration de la couverture maladie pour les personnes âgées et des mesures accroissant l’accessibilité à une couverture santé).

Fort de ce subterfuge, les démocrates peuvent enfin savourer leur victoire. « Cette bataille législative restera dans les annales » affirmera plus tard Harry Reid. 

LES GRANDES LIGNES DE LA REFORME

La réforme couvrira près de 32 millions d’américains dépourvus de couverture santé (soit près de 95% des moins de 65 ans). Son coût devrait s’élever à près de 940 milliards de dollars sur 10 ans. Selon les dernières estimations, la réforme devrait permettre de réduire le déficit de 138 milliards de dollars durant les 10 prochaines années et près de 1 200 milliards la décennie suivante.

Les assureurs privés ne pourront plus, désormais, refuser de couvrir des personnes ayant des problèmes de santé préexistants. Afin de financer une partie de la réforme, les assureurs privés devront acquitter 67 milliards de dollars d’impôts nouveaux durant les 10 prochaines années. Afin de favoriser la concurrence entre les différents organismes privés, la loi crée, au sein de chaque Etat, une sorte de bourse des polices d’assurances.

Afin de couvrir la plus large partie de la population possible, la réforme crée des pénalités pour les entreprises de plus de 50 salariés ne proposant pas de couverture santé à ses employés. Cette pénalité s’élève à près de 2 000 dollars par an par salarié non couvert (le gouvernement fédéral se substituera alors à l’employeur). En revanche, les entreprises de moins de 50 salariés n’ont aucune obligation de couverture. Pour compenser cette injustice sociale, ces entreprises et ménages modestes (familles gagnant moins de 88 000 dollars par an) recevront des crédits d’impôts ou d’autres aides financières destinés à couvrir leurs dépenses de santé.

Le gouvernement fédéral financera une partie des coûts de fonctionnement des dispensaires de quartiers.

Les enfants pourront rester couverts par l’assureur de leurs parents jusqu’à l’âge de 26 ans.

Enfin, contrairement à la volonté de Président, une caisse d’assurance maladie publique destinée à concurrencer les assureurs privés ne verra pas le jour.

La réforme de santé sera financée de la façon suivante : les revenus des investissements seront taxés à hauteur de 3,8% à partir de 2013, la taxe sur les salaires destinée à financer le programme Medicare sera augmentée de 0,9 point, les assureurs privés devront acquitter près de 67 milliards d’impôts nouveaux sur 10 ans, l’industrie pharmaceutique devra financer la réforme à hauteur de 23 milliards de dollars et les fournisseurs d’équipements médicaux devront acquitter une facture de près de 20 milliards de dollars.