Regard sur les Etats-Unis

vendredi 30 mai 2008

Les Entretiens de REU : Frédéric Salmon, cartographe et spécialiste en géographie électorale

Cette semaine, Regard sur les Etats-Unis est allé à la rencontre de Frédéric Salmon, spécialiste en géographie électorale et auteur de l’Atlas historique des Etats-Unis de 1783 à nos jours (Editions Armand Colin). M. Salmon travaille notamment pour l’Institut d’Etudes Politiques de Paris.
Afin de bien comprendre les enjeux électoraux de l’année 2008, Regard sur les Etats-Unis souhaitait faire le point sur quelques aspects de la démographie américaine. Nous voulions également analyser les raisons du double échec des démocrates lors des élections présidentielles de 2000 et de 2004.
De nombreuses autres cartes sont disponibles sur le site internet de Frédéric Salmon.
REU : Quelles sont les principales minorités de la population américaine ?
F. Salmon : Selon les données de 2006, voici les principales minorités de la population américaine :
- Hispaniques totaux : 44 321 038
dont les Hispaniques "blancs" (en réalité plus ou moins métissés d'Indiens) : 41 001 760
- Noirs (y compris Hispaniques) : 38 342 546
- Asiatiques et Océaniens (y compris Hispaniques) : 13 688 161
- Deux races ou plus (y compris Hispaniques): 4 718 669
- Amérindiens, Esquimaux, Aléoutes (y compris Hispaniques) : 2 902 851
En 2000, selon la définition de 2006 (c'est-à-dire en répartissant les "Autres races", qui n'étaient en réalité que des Hispaniques n'ayant pas répondu « Hispanique » à la question posée, entre les différentes races) :
- Noirs (y compris Hispaniques) : 35 704 124
- Hispaniques totaux : 35 305 818
dont Hispaniques "blancs" (en réalité plus ou moins métissés d'Indiens) : 32 529 000
- Asiatiques et Océaniens (y compris Hispaniques) : 11 051 799
- Deux races ou plus (y compris Hispaniques) : 3 897 680
- Amérindiens, Esquimaux, Aléoutes (y compris Hispaniques) : 2 663 818
REU : Quelles sont les évolutions actuelles ? Certaines minorités augmentent-elles plus rapidement que d'autres ?
F. Salmon : Après une montée en flèche des Asiatiques et des Amérindiens, ce sont aujourd'hui et dans l'ordre : les Hispaniques, les Asiatiques et les métis qui augmentent le plus vite, loin devant les Amérindiens et les Noirs.
Les Hispaniques ont doublé les Noirs, quantitativement. Les Noirs l'ont d’ailleurs plutôt mal vécu, car ils ont perdu par ce fait même, leur statut de minorité la plus à plaindre (position dans laquelle ils s'étaient installés psychologiquement et médiatiquement depuis les années soixante).


Au début, il n'y eut qu'un antisémitisme affiché par quelques leaders noirs. Avec cet événement tout statistique, le ressentiment des Noirs contre toutes les autres minorités s'est accru, tout au moins chez les Noirs des villes (ceux du vieux Sud [hors delta du Mississippi] sont trop installés dans la vie rurale pour être atteints par ce phénomène). L'attitude de trop de responsables noirs a par exemple coûté à Barack Obama le vote des Hispaniques. Ce dernier a bien pris soin de ne pas tomber dans ce travers, mais son passé l'a malheureusement rattrapé, et jouera contre lui jusqu'au bout.
REU : Dans un tout autre sujet, comment expliquez-vous le double échec des démocrates aux élections présidentielles de 2000 à 2004 ?
F. Salmon : En 2000, le sort a joué contre Al Gore par le simple jeu de la taille des États gagnés par les uns et par les autres. Al Gore est arrivé en tête dans 20 Etats et le District de Columbia. Il a obtenu 266 mandats de Grands Electeurs (sur un total de 538). George W. Bush est arrivé en tête dans 30 Etats et a obtenu 271 mandats. Les démocrates sont désormais un parti politique plutôt urbain. Mais il n’en a pas toujours été le cas. Les démocrates sont arrivés en tête dans un minimum d’Etats, alors qu’ils dépassaient 50% des suffrages exprimés. Mais les mandats correspondant aux sièges de sénateurs ont logiquement joué contre eux et en faveur des républicains.



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En effet, le Congrès se compose de deux chambres : le Sénat et la Chambre des Représentants. Le Sénat accorde deux sièges électifs à chaque Etat, quelle que soit sa taille. Pour les membres de la Chambre des Représentants, les sièges sont répartis à la proportionnelle. Les mandats des Grands électeurs sont attribués aux sénateurs et aux membres de la Chambre des Représentants. En 2000, Al Gore avait remporté 224 mandats de Grands électeurs correspondant aux membres de la Chambre des Représentants, contre 211 pour George W. Bush. Ces mandats étant répartis à la proportionnelle, Al Gore avait remporté les suffrages populaires. Pourtant, du fait du faible nombre d’Etat remportés, il a perdu à cause des mandats correspondant aux sièges de sénateurs.
De surcroît, Al Gore manquait tellement de charisme à l'époque qu'il n'a même pas gagné son propre État, le Tennessee, chose presque unique dans l'histoire des présidentielles américaines !
En 2004, John Kerry ne pouvait gagner. Son statut d'intellectuel le frappait d'un handicap majeur dans un pays qui ne respecte pas davantage ce statut qu'un autre mieux, qui s'en défie quand le pays est aux prises avec un conflit extérieur, alors que le 11 Septembre était encore dans toutes les mémoires. Son colistier l'a empêtré et non aidé.

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En effet, les démocrates ont perdu le Sud profond dans les années soixante parce que les démocrates du Sud étaient des conservateurs (le mot est faible!) et qu'ils n'acceptaient pas la tournure de la politique de l'administration de Lyndon Baines Johnson. Autant John Fitzgerald Kennedy avait pu l'emporter (de justesse) grâce à un colistier du Sud conservateur (Lyndon B. Johnson, du Texas), autant le colistier "gauchiste" (John Edwards) de Caroline ne pouvait l'épauler dans sa conquête de la Maison Blanche.
Soit il faut être du Sud, soit il faut un colistier capable de rallier ce "Splendid South" (donc conservateur) quand on est démocrate. Jimmy Carter et Bill Clinton étaient du Sud, ils pouvaient et ont donc gagné. Al Gore manquait par trop de charisme; John Kerry était du Massachusetts et avait un colistier certes du Sud mais pas assez conservateur: ils ont donc perdu.
REU : M. Frédéric Salmon nous a fait parvenir une carte relative aux primaires. Une manière d’illustrer la profonde division des électeurs démocrates :
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3 commentaires:

Anonyme a dit…

La démographie est un élément de plus en plus important dans les élections américaines:Actuellement 34% des américains sont non-européens d'origine,mais on estime qu'en 2050 ce sera 53%.Autant dire que des candidats de type Barack Obama on en aura plein à l'avenir, comme Bobby Jindal (Républicain, star montante) d'origine indienne et vu par de + en + de conservateurs comme le "successeur" de Ronald Reagan, rien que ça.
Antonio Villaraigosa (Démocrate maire de Los Angeles), d'origine mexicaine, pourrait percer s'il le souhaitait.

Anonyme a dit…

les républicains si conservateurs accepterons t'ils qu'un indien represente le parti pour la présidentielle ? il aurait dû être démocrate cela aurait été facile pour lui.

Anonyme a dit…

Hello! nice blog!