
REU : En tant que journaliste ayant exercé aux Etats-Unis, quel regard portez-vous sur la couverture par les médias français de la campagne électorale de John McCain ? (ou en d’autres termes, estimez-vous que les médias traditionnels couvrent de manière objective la campagne présidentielle américaine ?)
M. Paillon : Je pense que la neutralité n’existe pas totalement en matière de journalisme. Mais cette année, les journalistes français travaillant sur la campagne présidentielle américaine disposent de tous les outils possibles pour comprendre comment fonctionne cette campagne. Avec le développement d’internet, nous disposons de plus en plus de sources fiables pour suivre cette campagne de façon stable et continue. C’est la raison pour laquelle, je pense que nous devrions avoir de moins en moins de chance de nous tromper dans le traitement de celle-ci.
Depuis le début de la campagne, les médias se sont beaucoup focalisés sur Barack Obama. Il s’agit d’un candidat incroyable, qui a des qualités exceptionnelles et qui a su motiver un électorat qui n’était pas intéressé par la politique auparavant. C’est un candidat nouveau et les médias se dirigent donc naturellement vers lui. Maintenant, il y a tout de même un autre candidat dans la campagne pour la présidentielle qui s’appelle John McCain. Le candidat du parti républicain a une histoire à part entière, tout à fait originale et toute aussi intéressante, sinon plus, que celle de Barack Obama. L’idée de mon livre était donc de pouvoir raconter cette histoire là.
Mais la façon dont les médias français couvrent la campagne de John McCain, est parfois décalée par rapport à la réalité de la campagne sur le terrain. Ils ont tendance à aller vers le changement, vers le candidat qui apporte la nouveauté et sur lequel on va pouvoir écrire. Ce candidat, cette année, est Barack Obama et non John McCain. Ce dernier avait eu ce statut en 2000, lors de la campagne qui l’avait opposé à George W. Bush. Mais la façon dont John McCain est traitée dans les médias français est forcément influencée par la manière dont les médias américains couvrent cette campagne. Cette année, les médias ont très nettement pris fait et cause pour Barack Obama. Cela ne veut pas pour autant dire qu’il sera élu.
Le vrai problème, selon moi, est que l’on a tendance à s’enthousiasmer et à anticiper la victoire d’un candidat alors que l’on ne dispose pas des clés pour décoder la réalité sociologique américaine. Mais du fait des nouveaux moyens de communication, j’espère que lors des dernières semaines de campagne, les médias accorderont de l’importance à la candidature de Barack Obama mais aussi à John McCain, en le traitant à sa juste valeur, et notamment en allant voir à quel type d’électorat il s’adresse.
Il faut également préciser que l’on parle ici d’une élection américaine et qu’aux Etats-Unis toute tendance peut se retourner à tout moment.
REU : Il y a encore quelques semaines, avant que l’économie ne fasse son grand retour dans la campagne, Barack Obama ne parvenait pas à nettement distancer John McCain. Pourtant, l’Amérique se porte beaucoup plus mal depuis les deux mandats de George W. Bush, qu’est ce qui selon vous empêchait Barack Obama de distancer son adversaire ? Les qualités de John McCain, ou l’incapacité de Barack Obama à rallier les électeurs du parti démocrate ?
M. Paillon : C’est sûr qu’il s’agit d’une élection à ne pas perdre pour les démocrates (surtout depuis l’éclatement de la crise financière qui illustre parfaitement ce que l’Administration Bush n’avait pas su anticiper).
Mais il faut d’abord se souvenir de la manière dont Barack Obama a remporté la nomination du parti démocrate. Il a gagné contre Hillary Clinton. Or le phénomène Obama est arrivé plutôt tardivement dans la campagne pour l’investiture du parti démocrate. C’est son incroyable capacité à motiver les électeurs, non seulement démocrates mais également indépendant (qui se sont exprimés lors de ces primaires), qui lui a permis de l’emporter contre Hillary Clinton.
Mais en ce qui concerne la campagne pour l’élection présidentielle contre John McCain, tout est différent. Car si le parti démocrate a tout les raisons pour remporter l’élection présidentielle de novembre, on a l’impression qu’il manque quelque chose. Si Barack Obama voulait être assuré de remporter l’élection, il faudrait qu’il distance son adversaire dans les sondages avec une marge de 10 à 15 points d’avance. Qui plus est, cette marge devrait être constatée sur des sondages significatifs, c'est-à-dire ceux effectués sur des électeurs enregistrés et ayant voté les années précédentes. Or même s’il est entrain de creuser l’écart sur John McCain, il n’y ait pas parvenu. Une marge d’écart de 3 à 5 points est très insuffisante au niveau national pour être assuré de l’emporter.
Comment peut-on alors expliquer que Barack Obama ne parvienne pas à distancer John McCain, alors que l’on se situe en pleine crise économique et que le candidat républicain affirme lui-même qu’il ne connait pas grand chose sur ce sujet ?
Il y a d’abord le fait que les Américains ont fondamentalement peur lors de cette élection. Ils l’entendent à longueur de journée : il s’agit d’une élection historique. Ils doivent faire un choix crucial pour l’Amérique. Or il n’est pas sur qu’ils aient envie de le faire. On est en pleine crise économique, et ils sont en attente de savoir lequel des deux candidats pourra apporter la meilleure solution pour préserver les économies à la banque et éviter à ces dernières de faire faillite. Qui pourra les préserver d’une saisie de leur maison ? Sur ce point, on ignore lequel des deux prétendants parviendra à les convaincre.
John McCain a été choisit car il se plaçait en rupture avec le système Bush (contrairement aux autres candidats qui se présentaient cette année lors des primaires républicaines). Alors certains répètent qu’il a voté à 99% en faveur des propositions de George W. Bush au Sénat durant la dernière année de son mandat. C’est le cas, mais il ne faut pas oublier qu’auparavant, il s’était opposé à George W. Bush à chaque fois qu’il l’estimait nécessaire pour le bien de son parti ou pour celui de son pays. C’est véritablement sa « marque de fabrique », sa façon de procéder : savoir transgresser les lignes du parti lorsqu’il l’estimait nécessaire. Mais ces derniers temps, il a su véritablement revenir vers son propre parti de manière à pouvoir obtenir la nomination de son parti quelques années plus tard. Il s’agit d’un calcul politique. Mais il faut bien souligner que le fait de l’avoir désigné comme candidat du parti républicain est déjà une marque de rupture par rapport à l’Administration Bush de la part de cette formation politique.
Par conséquent, si Barack Obama l’emporte en novembre, ce sera forcément par rapport à l’état actuel du parti républicain. Celui-ci est dans un tel état de détresse politique, qu’ils ont le choix de se « saborder » politiquement parlant ou de se redresser. Mais encore une fois, je tiens à préciser que l’engouement incroyable à l’égard de Barack Obama à l’étranger, n’est pas forcément partagé sur le sol américain. Et si les chiffres des sondages publiés cette semaine se confirment, le 4 novembre prochain, il s’agira d’une élection très serrée. Mais tout peut encore changer d’ici là. Car si les Américains ont besoin de changement, ils craignent que Barack Obama ne réalise trop de réformes en même temps.
Lors du scrutin, ils devront véritablement choisir entre le fait de faire table rase du passé et de confier l’administration à un candidat jeune qui prône le changement, ou de faire de nouveau appel au parti républicain.
REU : Alors que John McCain bénéficie dans l’opinion publique américaine d’une réputation de « maverick », c'est-à-dire de franc-tireur, d’esprit indépendant et de réformateur, le fait d’avoir choisit comme colistière Sarah Palin ne risque t-il pas de nuire à cette réputation ?
M. Paillon : Ça aurait pu être le cas, mais cela s’est dissipé durant les quelques jours qui ont suivi sa nomination. La désignation de Sarah Palin elle est très simple à comprendre : cela a permis à John McCain de s’assurer la fidélité de la base républicaine, qu’il n’avait absolument pas de son côté depuis le début de la campagne. Il s’est donc assuré la loyauté de la plupart des républicains évangélistes ainsi que de la National Rifle Association. Sarah Palin a donc permis de conforter cette base et de créer un effet de surprise destiné à re-densifier l’attention des médias. Il s’agissait d’un véritable « coup de poker ».
Mais comme vous avez pu le constater lors du discours d’investiture de John McCain à la Convention républicaine, celui-ci l’a redit : « je suis le maverick que vous avez toujours connu ». Il a même affirmé qu’il était prêt à constituer un gouvernement d’ouverture. Ces déclarations sont lourdes de sens. Si certains peuvent être sceptiques quant à l’efficacité d’un tel gouvernement, je pense que s’il y avait un Président qui pourrait y parvenir, ce serait John McCain. Il pourrait tout à fait se satisfaire d’une majorité démocrate et gouverner avec une administration républicaine, ou en tout cas nommer sur certains postes des secrétaires d’Etat venant d’une autre formation politique. Ce serait alors du jamais vu.
Mais John McCain essaie par tous les moyens de conserver cette carte du rebelle, cette carte du franc-parler parce qu’il sait que c’est sa « marque de fabrique ». Elle l’a toujours été dans sa carrière et son ascension politique. C’est comme ça que les médias ont commencé à le façonner dès 2000, et c’est comme ça qu’il a été présenté tout au long du mandat de George W. Bush (excepté durant les dernières années de son mandat). C’est pour cette raison qu’il se trouve dans une situation extrêmement compliquée en ce moment. D’un côté, il a besoin des fonds de l’Administration Bush et des levées de fonds organisées par le parti républicain, mais d’un autre côté, il sait qu’il doit jouer cette carte du « maverick ».
REU : Dans votre livre, vous expliquez que John McCain ne suscite pas beaucoup d’engouement chez les républicains. Vous disiez que 34% des électeurs prêts à voter pour lui n’étaient pas pleinement derrière lui. Or au moment de l’impression de votre ouvrage, John McCain n’avait pas encore désigné Sarah Palin comme colistière, ce chiffre a-t-il évolué depuis sa désignation ?
M. Paillon : Ces chiffres ont en effet évolué. De nouveaux sondages ont mesuré l’enthousiasme du parti républicain par rapport à leur candidat, désigné à la suite de la Convention républicaine. Grâce à la désignation de Sarah Palin, l’engouement du parti républicain pour John McCain surpassait l’engouement du parti démocrate envers Barack Obama. Ces chiffres soulignent que Sarah Palin a su galvaniser la base du parti républicain. Mais il est vrai que depuis cette désignation, John McCain s’est éloigné de l’électorat indépendant. Il est donc nécessaire d’analyser précisément les échantillons de personnes interrogées par les instituts de sondage de manière à étudier les tendances.
Mais encore une fois, je le répète, je pense qu’il s’agira d’une élection serrée. Je ne me livrerai donc à aucun pronostic.
REU : Pensez vous que l’adoption du Plan Paulson par les parlementaires puisse être favorable à John McCain ?
M. Paillon : Il faut préciser que les deux candidats ont été pris de court sur cette histoire. Personne ne s’attendait au premier rejet du Plan Paulson par les membres de la Chambre des représentants. Il est d’ailleurs particulièrement intéressant de noter qu’en période de vacance du pouvoir, les élus s’éloignent des lignes de leur parti.
Mais rappelons que la semaine dernière, John McCain a suspendu sa campagne. Il s’est personnellement investi dans les négociations avec les émissaires de chaque parti, pour un résultat final plutôt décevant. Mais la situation actuelle est beaucoup plus compliquée pour lui que pour Barack Obama. En s’étant personnellement investi sur ce plan, à l’opposé de ses convictions en matière économiques, et en prônant l’interventionnisme étatique, John McCain a fait une grosse concession. Il a pris un énorme pari. Néanmoins, je pense que la situation est compliquée à gérer pour les deux camps.
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