A l’occasion de la victoire de Barack Obama aux primaires démocrates, Regard sur les Etats-Unis est allé à la rencontre de François Durpaire, co-auteur de la première biographie en français sur le candidat (« L’Amérique de Barack Obama » avec Olivier Richomme aux éditions Demopolis). Spécialiste des questions relatives à la diversité culturelle aux Etats-Unis et en France, François Durpaire est chercheur associé au Centres de Recherches d’Histoire Nord-Américaine de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et cofondateur de l’Institut des Diasporas Noires Francophones.
Au cours de cet entretien, François Durpaire revient sur les raisons de la victoire de Barack Obama lors des primaires démocrates et fait le point sur les prochaines échéances électorales américaines.
(Interview réalisée mardi 10 juin 2008)
REU : Alors que la campagne des primaires démocrates touche à sa fin, pensez-vous que Barack Obama puisse avoir des difficultés à unifier le parti autour de sa candidature ? Et bien qu’il se défende d’être élitiste, que pensez-vous de sa capacité à convaincre les électeurs ayant voté en faveur d’Hillary Clinton comme les cols-bleus ou les hispaniques ?
F. Durpaire : Alors tout d’abord je tiens à préciser que pour le moment, Barack Obama n’a pas été officiellement investi (tout comme John McCain). En effet, l’investiture officielle n’aura lieu que lors de la convention du parti démocrate.
En ce qui concerne l’unification du parti, je peux vous dire de part mon regard d’historien, que la situation est identique tous les quatre ans depuis que les primaires existent. La première tache d’un candidat qui vient de gagner la course aux délégués est d’unifier le part. Il y a quatre ans, c’était d’ailleurs la même chose avec John Kerry et Howard Dean. L’existence même des primaires illustre que le candidat investi devra rassembler toutes les voix de son parti à l’issue du processus électoral.
Mais pour revenir précisément à votre question, il est vrai qu’il existe des éléments de permanence et des éléments d’évolution. La campagne des primaires a été particulièrement dure entre Hillary Clinton et Barack Obama. On a eu un électorat très compartimenté. Les femmes, les latinos et les ouvriers blancs votaient plutôt pour Hillary Clinton alors que les élites, les afro-américains et les jeunes penchaient davantage en faveur de Barack Obama.
Mais l’unification du parti passe aussi par le choix de son colistier. Ce colistier qui pourra devenir vice-président n’aura que très peu de pouvoirs en temps que tel (article 2 de la Constitution des Etats-Unis). Mais il est extrêmement utile en termes d’image. A titre d’exemple, lorsqu’on est issu d’un Etat du Nord-Est des Etats-Unis, on essaiera de choisir un colistier issu d’un Etat du Sud. Cela permet de corriger son image. Mais lors de cette élection, le choix du colistier ne va peut-être pas se jouer en termes de géographie, mais davantage en termes d’identité. Barack Obama pourrait choisir un colistier qui lui permettrait de remporter les voix des ouvriers blancs.
Pour unifier le parti, les discours auront de l’importance. Et là ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la dynamique des élections générales n’est pas celle des primaires. A titre d’exemple, un ouvrier blanc séduit par les discours d’Hillary Clinton ne penchera pas obligatoirement en faveur de John McCain lors de l’élection présidentielle. En effet vis-à-vis du thème de l’assurance santé, certains commentateurs avaient jugé que la sénatrice de New York était plus convaincante que Barack Obama. Mais quelques semaines plus tard, ces mêmes personnes peuvent trouver le discours d’Obama largement plus persuasif que celui de John McCain.
En ce qui concerne son image élitiste, il est très difficile de savoir s’il parviendra à corriger son image. Cette étiquette est d’ailleurs très largement injuste car il est de loin le candidat qui est issu de la famille la plus modeste. Mais pour remporter l’élection présidentielle, la correction de son image demeure un préalable indispensable.
REU : Comment expliquez-vous que Barack Obama ait pu s'imposer dans ces primaires démocrates, alors qu'Hillary Clinton disposait de l'appui des plus grands noms du parti ?
F. Durpaire : Cette situation s’explique de deux manières.
Tout d’abord, la première raison résulte de son organisation de campagne. Barack Obama était l’outsider de ces primaires démocrates. Néanmoins, dès l’origine il a organisé sa campagne sur la durée. Son chef de campagne, David Plouffe, était en Caroline du Nord dès le mois de février alors que cet Etat tenait ses élections que le 6 mai. Cette organisation avait été critiquée à l’époque. A l’inverse, Hillary Clinton avait prévu une campagne relativement courte, qui devait s’achever lors du Super Tuesday.
De plus, Barack Obama s’est dès le début (lorsqu’il devient sénateur en 2005) entouré des gens les plus compétents alors qu’Hillary Clinton a privilégié les personnes les plus loyales au clan Clinton.
Par ailleurs, Barack Obama a inventé de nouvelles recettes pour faire de la politique. Il s’agit de la première véritable cyber-campagne (avec ses fameux 1,6 millions de petits donateurs). Howard Dean avait essayé il y a quatre ans mais la campagne de 2008 a pris une dimension particulière. Plus de la moitié des fonds de sa campagne sont issus de donations sur son site internet. La plupart de ces dons étaient inférieurs à 200$. Il a donc réussi à battre sa rivale au niveau de la levée de fonds, qui est en réalité le nerf de la guerre. Mais il faut bien comprendre que cette cyber-campagne ne remplace pas les autres médias. En effet si internet sert à lever des fonds, c’est sur les chaines de télévisions qu’ils sont pour la plupart dépensés. Internet est simplement devenu un média complémentaire.
Autre élément nouveau, Barack Obama a décidé de ne pas accepter l’argent des lobbys. Cette innovation a été reprise il y a quelques jours par le comité national démocrate. Désormais, les lobbys ne financeront plus la campagne pour l’élection présidentielle. Cet élément novateur permettra au candidat de faire campagne de manière totalement indépendante.
La deuxième raison de sa victoire réside dans le choix du thème de campagne de Barack Obama. En s’affichant comme le candidat du changement, il est parvenu à transformer l’un de ses handicaps en un atout. En effet, le sénateur de l’Illinois a dès le départ affirmé qu’il ne connaissait pas tous les rouages de Washington. Bien qu’il soit relativement peu expérimenté, il connait suffisamment le système politique à Washington pour savoir qu’il faut le changer. Mais lorsqu’Hillary Clinton mettait en avant son inexpérience, elle a commis une erreur car le changement aux Etats-Unis paie beaucoup plus que l’expérience.
Hillary Clinton s’est elle-même placé en position d’outsider. Alors qu’il n’y avait ni vice-président, ni président, qui se présentaient, elle s’est placé toute seule en position ne candidate sortante. Au début de la campagne des primaires, tout le monde se demandait ce qu’allait devoir faire Barack Obama pour déstabiliser la candidate naturelle du parti, pourtant au bout de plusieurs semaines, il n’avait plus rien à faire. C’est Hillary Clinton qui l’a attaqué en premier. Or on n’attaque pas un outsider lorsque l’on est favori
En résumé, on peut dire que Barack Obama a su se démarquer mais qu’Hillary Clinton lui a facilité la tache.
REU : Qui est vraiment Michelle Obama, quel rôle essentiel a-t-elle joué dans sa campagne ? Quel rôle aura-t-elle en cas de victoire de Barack Obama à la présidentielle ?
F. Durpaire : En ce qui concerne le rôle de Michelle Obama dans la campagne de son mari, on peut dire qu’elle a joué un rôle essentiel. Son appui a été déterminant pour amarrer à sa campagne le vote afro-américain. Michelle Obama est une femme de qualité. Elle a fait ses études à Princeton et à Harvard et a la même formation que son mari. Elle est afro-américaine et issue d’une famille ouvrière de la région de Chicago.
Initialement Barack Obama n’était pas le favori de l’électorat afro-américain et alors qu’il faisait campagne dans des Etats comme le Nevada (qu’il a d’ailleurs perdu), sa femme faisait campagne en Caroline du Sud (où environ 40% de l’électorat est d’origine afro-américaine). Elle a fait campagne en rappelant qu’ils constituaient une famille afro-américaine et a donc contribué à corriger l’image de métis élitiste de son mari. Elle a notamment prononcé plusieurs discours importants. Alors que certains commentateurs n’ont retenu que les propos qu’elle a pu tenir à l’emporte pièce à l’égard de son mari, il faut aller voir ses discours publié sur internet. Ce sont des discours politiques très bien construits. Le rôle de Michelle Obama a donc été fondamental pour convaincre l’électorat noir des Etats du Sud. Sans l’appui de ces Etats, Barack Obama n’aurait jamais pu remporter les primaires.
Pour ce qui est de l’avenir, il est très difficile de le prédire. Ce que l’on peut en revanche préciser, c’est l’importance pour Barack Obama de donner cette image de famille unie. C’est un père de famille à qui on ne connait pas de maitresse. Cet élément est très important lorsque l’on sait que beaucoup de familles américaines sont des familles recomposées. De plus, ils sont afro-américains et environ la moitié des familles afro-américaines sont monoparentales. L’image d’unité familiale est donc fondamentale.
REU : En ces temps de crise, les américains placent l’économie au centre de leurs préoccupations, quel est le programme économique du candidat ? Est-il en faveur de programmes traditionnels d’aide sociale ou a-t-il un programme spécifique destiné à augmenter le pouvoir d’achat des classes moyennes ?
F. Durpaire : Et bien les deux.
Son programme était d’ailleurs pratiquement le même que celui d’Hillary Clinton. L’un des atouts les plus précieux de Barack Obama est d’être un démocrate. En effet, on se situe dans une période où les américains disent qu’ils vont voter sur les questions économiques et sur les questions d’assurance santé. En ce qui concerne ce dernier point, Barack Obama est en faveur d’un système d’assurance santé universel. Il ne souhaite pas instaurer un système obligatoire comme le souhaitais Hillary Clinton mais on pense qu’il pourrait reprendre une partie de son programme pour tendre vers ce type de système. Cette avancée permettrait d’unifier plus facilement le parti autour de sa candidature.
John McCain quant à lui, a une politique économique fidèle à l’orthodoxie républicaine. Il propose de baisser les impôts tout en limitant les dépenses publiques. Barack Obama compte au contraire proposer des bourses pour les étudiants en étude supérieures par exemple. On aura donc deux programmes économiques très contrastés. Le choix des électeurs sera donc clair. En ce sens c’est une chose plutôt favorable à la démocratie.
Mais il faut tout de suite ajouter que les Etats-Unis ont un régime présidentiel et non parlementaire. Les programmes comptent mais les personnalités des candidats jouent un rôle très important. Même s’il y a fort à parier que les démocrates vont remporter les élections législatives, pour ce qui est de l’élection présidentielle c’est beaucoup plus compliqué. En effet, on oublie souvent qu’il y aura des élections au Congrès : 1/3 des sénateurs et la totalité des représentants seront renouvelés. Mais pour ce qui est de l’élection présidentielle, tout dépendra de la personnalité des candidats. Quand je parle de personnalité, je ne sous-entends pas qu’il s’agira d’une campagne entre un candidat blanc et un candidat noir, un candidat wasp et un candidat issu des minorités. En effet, s’il on se penche sur les interventions télévisées des candidats, on se pose la question de la primauté raciale sur l’identité générationnelle. Les américains vont avoir le choix entre un « père » et un « fils ». Leur différence d’âge est de 25 années. John McCain se présente comme un protecteur des Etats-Unis contre les terroristes grâce à son passé d’ancien combattant du Vietnam, alors que Barack Obama va vouloir aller de l’avant comme avait pu le faire Kennedy : les Etats-Unis sont un peuple relativement jeune qui doit faire le choix de l’audace et aller de l’avant. Vous voyez qu’on en fait beaucoup sur la question raciale alors que la question générationnelle va peut-être primer.
REU : Dans une précédente interview vous expliquiez que la plus grande difficulté pour Barack Obama serait de remporter l’investiture du parti démocrate contre Hillary Clinton, et qu’en ce qui concerne l’élection générale le bilan des républicains était tellement lourd que vous ne les voyez pas gagner en novembre prochain ; six mois après, pensez-vous toujours que les démocrates ont de grandes chances de l’emporter ?
F. Durpaire : Oui je pense que les démocrates ont de grandes chances de l’emporter cette année au Congrès. En effet, en ce qui concerne l’élection législative seuls les programmes comptent. Mais en ce qui concerne l’élection présidentielle Barack Obama aura l’avantage d’être démocrate néanmoins il faudra faire attention à la question de la personnalité car comme je vous l’expliquais nous nous situons dans un régime présidentiel. Cette précision nuance les propos que j’ai pu tenir lors de cette précédente interview.
Par ailleurs, la dimension prédominante aux Etats-Unis est la dimension locale. On peut être en tête des sondages nationaux jusqu’à la fin pourtant il est indispensable de se concentrer sur les dynamiques locales. Comme habituellement, l’élection présidentielle va se jouer en Pennsylvanie, en Ohio et en Floride (dans les « Big Three »). Il y a 8 ans, l’un des candidats avait remporté plus de voix que son adversaire mais il avait perdu la Floride et donc l’élection générale. Barack Obama ne s’y était pas trompé en prononçant son discours de victoire lors de la dernière élection, dans le Minnesota. En effet, le Minnesota est un Etat en balance qui vote démocrate mais qui a failli pencher du côté républicain lors de la dernière élection. Cela s’est joué à 3%. Le Minnesota est également l’Etat choisi par les républicains pour tenir leur convention. C’était une manière pour Barack Obama de « marquer en quelque sorte son territoire ». De plus s’il on regarde ses visites depuis sa victoire aux primaires, les ¾ des Etats visités sont des Etats en balance. Cette dimension locale rend les pronostics très difficiles.
Mais lors de l’élection, ce sera aussi Obama contre Obama. En effet, le sénateur de l’Illinois est relativement inconnu. Les gens ne connaissent pas très bien sa vie. On parle beaucoup de lui mais on ne le connait que par sa biographie. Les gens ne l’ont pas vu agir pendant des années. Il est nouveau dans le paysage politique américain. Ce handicap a été transformé en atout par Barack Obama qui se présente désormais comme le candidat du changement.
Donc je le répète, Barack Obama est le favori dans cette campagne mais il existe un certain nombre d’inconnues pesant sur l’élection. C’est donc une élection à suspens.
REU : Il y a quelques jours, une conférence était organisée à Science-Po intitulée « L’effet Obama en France ». Comment expliquez-vous l'engouement des étrangers à l'égard de Barack Obama ?
F. Durpaire : Il y a deux raisons à cela.
Tout d’abord, il faut préciser que ce qui assure le succès d’Obama à l’étranger est identique à ce qui assure son succès aux Etats-Unis. On dit de lui qu’il est une sorte de « caméléon ». C'est-à-dire qu’il plait à chaque frange de l’électorat américain et de l’opinion à l’étranger. Du côté de la France, c’est exactement la même chose : la gauche l’apprécie car il est situé à gauche du parti démocrate, les minorités visibles le soutiennent car il représente le symbole de l’ascension d’un noir, et ceux qui souhaitent une société unifiée font valoir qu’il tient des discours post-communautaires. En résumé chacun se retrouve dans la candidature de Barack Obama. Il a une dimension universelle.
Le deuxième élément réside dans le fait qu’il a une dimension particulière qui plait à l’étranger. Dans ces discours, Barack Obama met l’accent sur sa dimension internationale, ce qui est plutôt rare dans l’histoire américaine. Ce n’est d’ailleurs pas nécessairement un atout pour remporter les élections américaines. En ce qui concerne la diplomatie, Barack Obama explique qu’il est nécessaire de corriger l’image des Etats-Unis à l’étranger. Il parle beaucoup des relations de son pays avec le monde alors que sa rivale démocrate n’en a pratiquement pas parlé. De plus Barack Obama a vécu à l’étranger et est né à Hawaï. Il a souvent voyagé et a une partie de sa famille à l’étranger. C’est donc une personnalité internationale. Et il le dit lui-même lorsqu’il fait référence à ses fêtes de famille : nos fêtes ressemblent aux Nations-Unies. Il n’est pas très courant dans champ lexical des candidats américains de prendre comme référence l’ONU. Al Gore qui est désormais une personnalité reconnue à l’étranger n’est pas forcément reconnu de la même manière aux Etats-Unis. Mais il faut bien reconnaitre que Barack Obama intéresse beaucoup de personnes à l’étranger.
Cet intérêt a d’ailleurs commencé très tôt en France. Il a eu sa biographie traduite en Français il y a quelques mois. Tous les candidats à l’investiture n’ont pas leur biographie traduite dans une langue étrangère plusieurs mois avant leur investiture. Barack Obama a donc une particularité indéniable.
Au cours de cet entretien, François Durpaire revient sur les raisons de la victoire de Barack Obama lors des primaires démocrates et fait le point sur les prochaines échéances électorales américaines.
(Interview réalisée mardi 10 juin 2008)
REU : Alors que la campagne des primaires démocrates touche à sa fin, pensez-vous que Barack Obama puisse avoir des difficultés à unifier le parti autour de sa candidature ? Et bien qu’il se défende d’être élitiste, que pensez-vous de sa capacité à convaincre les électeurs ayant voté en faveur d’Hillary Clinton comme les cols-bleus ou les hispaniques ?
F. Durpaire : Alors tout d’abord je tiens à préciser que pour le moment, Barack Obama n’a pas été officiellement investi (tout comme John McCain). En effet, l’investiture officielle n’aura lieu que lors de la convention du parti démocrate.
En ce qui concerne l’unification du parti, je peux vous dire de part mon regard d’historien, que la situation est identique tous les quatre ans depuis que les primaires existent. La première tache d’un candidat qui vient de gagner la course aux délégués est d’unifier le part. Il y a quatre ans, c’était d’ailleurs la même chose avec John Kerry et Howard Dean. L’existence même des primaires illustre que le candidat investi devra rassembler toutes les voix de son parti à l’issue du processus électoral.
Mais pour revenir précisément à votre question, il est vrai qu’il existe des éléments de permanence et des éléments d’évolution. La campagne des primaires a été particulièrement dure entre Hillary Clinton et Barack Obama. On a eu un électorat très compartimenté. Les femmes, les latinos et les ouvriers blancs votaient plutôt pour Hillary Clinton alors que les élites, les afro-américains et les jeunes penchaient davantage en faveur de Barack Obama.
Mais l’unification du parti passe aussi par le choix de son colistier. Ce colistier qui pourra devenir vice-président n’aura que très peu de pouvoirs en temps que tel (article 2 de la Constitution des Etats-Unis). Mais il est extrêmement utile en termes d’image. A titre d’exemple, lorsqu’on est issu d’un Etat du Nord-Est des Etats-Unis, on essaiera de choisir un colistier issu d’un Etat du Sud. Cela permet de corriger son image. Mais lors de cette élection, le choix du colistier ne va peut-être pas se jouer en termes de géographie, mais davantage en termes d’identité. Barack Obama pourrait choisir un colistier qui lui permettrait de remporter les voix des ouvriers blancs.
Pour unifier le parti, les discours auront de l’importance. Et là ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la dynamique des élections générales n’est pas celle des primaires. A titre d’exemple, un ouvrier blanc séduit par les discours d’Hillary Clinton ne penchera pas obligatoirement en faveur de John McCain lors de l’élection présidentielle. En effet vis-à-vis du thème de l’assurance santé, certains commentateurs avaient jugé que la sénatrice de New York était plus convaincante que Barack Obama. Mais quelques semaines plus tard, ces mêmes personnes peuvent trouver le discours d’Obama largement plus persuasif que celui de John McCain.
En ce qui concerne son image élitiste, il est très difficile de savoir s’il parviendra à corriger son image. Cette étiquette est d’ailleurs très largement injuste car il est de loin le candidat qui est issu de la famille la plus modeste. Mais pour remporter l’élection présidentielle, la correction de son image demeure un préalable indispensable.
REU : Comment expliquez-vous que Barack Obama ait pu s'imposer dans ces primaires démocrates, alors qu'Hillary Clinton disposait de l'appui des plus grands noms du parti ?
F. Durpaire : Cette situation s’explique de deux manières.
Tout d’abord, la première raison résulte de son organisation de campagne. Barack Obama était l’outsider de ces primaires démocrates. Néanmoins, dès l’origine il a organisé sa campagne sur la durée. Son chef de campagne, David Plouffe, était en Caroline du Nord dès le mois de février alors que cet Etat tenait ses élections que le 6 mai. Cette organisation avait été critiquée à l’époque. A l’inverse, Hillary Clinton avait prévu une campagne relativement courte, qui devait s’achever lors du Super Tuesday.
De plus, Barack Obama s’est dès le début (lorsqu’il devient sénateur en 2005) entouré des gens les plus compétents alors qu’Hillary Clinton a privilégié les personnes les plus loyales au clan Clinton.
Par ailleurs, Barack Obama a inventé de nouvelles recettes pour faire de la politique. Il s’agit de la première véritable cyber-campagne (avec ses fameux 1,6 millions de petits donateurs). Howard Dean avait essayé il y a quatre ans mais la campagne de 2008 a pris une dimension particulière. Plus de la moitié des fonds de sa campagne sont issus de donations sur son site internet. La plupart de ces dons étaient inférieurs à 200$. Il a donc réussi à battre sa rivale au niveau de la levée de fonds, qui est en réalité le nerf de la guerre. Mais il faut bien comprendre que cette cyber-campagne ne remplace pas les autres médias. En effet si internet sert à lever des fonds, c’est sur les chaines de télévisions qu’ils sont pour la plupart dépensés. Internet est simplement devenu un média complémentaire.
Autre élément nouveau, Barack Obama a décidé de ne pas accepter l’argent des lobbys. Cette innovation a été reprise il y a quelques jours par le comité national démocrate. Désormais, les lobbys ne financeront plus la campagne pour l’élection présidentielle. Cet élément novateur permettra au candidat de faire campagne de manière totalement indépendante.
La deuxième raison de sa victoire réside dans le choix du thème de campagne de Barack Obama. En s’affichant comme le candidat du changement, il est parvenu à transformer l’un de ses handicaps en un atout. En effet, le sénateur de l’Illinois a dès le départ affirmé qu’il ne connaissait pas tous les rouages de Washington. Bien qu’il soit relativement peu expérimenté, il connait suffisamment le système politique à Washington pour savoir qu’il faut le changer. Mais lorsqu’Hillary Clinton mettait en avant son inexpérience, elle a commis une erreur car le changement aux Etats-Unis paie beaucoup plus que l’expérience.
Hillary Clinton s’est elle-même placé en position d’outsider. Alors qu’il n’y avait ni vice-président, ni président, qui se présentaient, elle s’est placé toute seule en position ne candidate sortante. Au début de la campagne des primaires, tout le monde se demandait ce qu’allait devoir faire Barack Obama pour déstabiliser la candidate naturelle du parti, pourtant au bout de plusieurs semaines, il n’avait plus rien à faire. C’est Hillary Clinton qui l’a attaqué en premier. Or on n’attaque pas un outsider lorsque l’on est favori
En résumé, on peut dire que Barack Obama a su se démarquer mais qu’Hillary Clinton lui a facilité la tache.
REU : Qui est vraiment Michelle Obama, quel rôle essentiel a-t-elle joué dans sa campagne ? Quel rôle aura-t-elle en cas de victoire de Barack Obama à la présidentielle ?
F. Durpaire : En ce qui concerne le rôle de Michelle Obama dans la campagne de son mari, on peut dire qu’elle a joué un rôle essentiel. Son appui a été déterminant pour amarrer à sa campagne le vote afro-américain. Michelle Obama est une femme de qualité. Elle a fait ses études à Princeton et à Harvard et a la même formation que son mari. Elle est afro-américaine et issue d’une famille ouvrière de la région de Chicago.
Initialement Barack Obama n’était pas le favori de l’électorat afro-américain et alors qu’il faisait campagne dans des Etats comme le Nevada (qu’il a d’ailleurs perdu), sa femme faisait campagne en Caroline du Sud (où environ 40% de l’électorat est d’origine afro-américaine). Elle a fait campagne en rappelant qu’ils constituaient une famille afro-américaine et a donc contribué à corriger l’image de métis élitiste de son mari. Elle a notamment prononcé plusieurs discours importants. Alors que certains commentateurs n’ont retenu que les propos qu’elle a pu tenir à l’emporte pièce à l’égard de son mari, il faut aller voir ses discours publié sur internet. Ce sont des discours politiques très bien construits. Le rôle de Michelle Obama a donc été fondamental pour convaincre l’électorat noir des Etats du Sud. Sans l’appui de ces Etats, Barack Obama n’aurait jamais pu remporter les primaires.
Pour ce qui est de l’avenir, il est très difficile de le prédire. Ce que l’on peut en revanche préciser, c’est l’importance pour Barack Obama de donner cette image de famille unie. C’est un père de famille à qui on ne connait pas de maitresse. Cet élément est très important lorsque l’on sait que beaucoup de familles américaines sont des familles recomposées. De plus, ils sont afro-américains et environ la moitié des familles afro-américaines sont monoparentales. L’image d’unité familiale est donc fondamentale.
REU : En ces temps de crise, les américains placent l’économie au centre de leurs préoccupations, quel est le programme économique du candidat ? Est-il en faveur de programmes traditionnels d’aide sociale ou a-t-il un programme spécifique destiné à augmenter le pouvoir d’achat des classes moyennes ?
F. Durpaire : Et bien les deux.
Son programme était d’ailleurs pratiquement le même que celui d’Hillary Clinton. L’un des atouts les plus précieux de Barack Obama est d’être un démocrate. En effet, on se situe dans une période où les américains disent qu’ils vont voter sur les questions économiques et sur les questions d’assurance santé. En ce qui concerne ce dernier point, Barack Obama est en faveur d’un système d’assurance santé universel. Il ne souhaite pas instaurer un système obligatoire comme le souhaitais Hillary Clinton mais on pense qu’il pourrait reprendre une partie de son programme pour tendre vers ce type de système. Cette avancée permettrait d’unifier plus facilement le parti autour de sa candidature.
John McCain quant à lui, a une politique économique fidèle à l’orthodoxie républicaine. Il propose de baisser les impôts tout en limitant les dépenses publiques. Barack Obama compte au contraire proposer des bourses pour les étudiants en étude supérieures par exemple. On aura donc deux programmes économiques très contrastés. Le choix des électeurs sera donc clair. En ce sens c’est une chose plutôt favorable à la démocratie.
Mais il faut tout de suite ajouter que les Etats-Unis ont un régime présidentiel et non parlementaire. Les programmes comptent mais les personnalités des candidats jouent un rôle très important. Même s’il y a fort à parier que les démocrates vont remporter les élections législatives, pour ce qui est de l’élection présidentielle c’est beaucoup plus compliqué. En effet, on oublie souvent qu’il y aura des élections au Congrès : 1/3 des sénateurs et la totalité des représentants seront renouvelés. Mais pour ce qui est de l’élection présidentielle, tout dépendra de la personnalité des candidats. Quand je parle de personnalité, je ne sous-entends pas qu’il s’agira d’une campagne entre un candidat blanc et un candidat noir, un candidat wasp et un candidat issu des minorités. En effet, s’il on se penche sur les interventions télévisées des candidats, on se pose la question de la primauté raciale sur l’identité générationnelle. Les américains vont avoir le choix entre un « père » et un « fils ». Leur différence d’âge est de 25 années. John McCain se présente comme un protecteur des Etats-Unis contre les terroristes grâce à son passé d’ancien combattant du Vietnam, alors que Barack Obama va vouloir aller de l’avant comme avait pu le faire Kennedy : les Etats-Unis sont un peuple relativement jeune qui doit faire le choix de l’audace et aller de l’avant. Vous voyez qu’on en fait beaucoup sur la question raciale alors que la question générationnelle va peut-être primer.
REU : Dans une précédente interview vous expliquiez que la plus grande difficulté pour Barack Obama serait de remporter l’investiture du parti démocrate contre Hillary Clinton, et qu’en ce qui concerne l’élection générale le bilan des républicains était tellement lourd que vous ne les voyez pas gagner en novembre prochain ; six mois après, pensez-vous toujours que les démocrates ont de grandes chances de l’emporter ?
F. Durpaire : Oui je pense que les démocrates ont de grandes chances de l’emporter cette année au Congrès. En effet, en ce qui concerne l’élection législative seuls les programmes comptent. Mais en ce qui concerne l’élection présidentielle Barack Obama aura l’avantage d’être démocrate néanmoins il faudra faire attention à la question de la personnalité car comme je vous l’expliquais nous nous situons dans un régime présidentiel. Cette précision nuance les propos que j’ai pu tenir lors de cette précédente interview.
Par ailleurs, la dimension prédominante aux Etats-Unis est la dimension locale. On peut être en tête des sondages nationaux jusqu’à la fin pourtant il est indispensable de se concentrer sur les dynamiques locales. Comme habituellement, l’élection présidentielle va se jouer en Pennsylvanie, en Ohio et en Floride (dans les « Big Three »). Il y a 8 ans, l’un des candidats avait remporté plus de voix que son adversaire mais il avait perdu la Floride et donc l’élection générale. Barack Obama ne s’y était pas trompé en prononçant son discours de victoire lors de la dernière élection, dans le Minnesota. En effet, le Minnesota est un Etat en balance qui vote démocrate mais qui a failli pencher du côté républicain lors de la dernière élection. Cela s’est joué à 3%. Le Minnesota est également l’Etat choisi par les républicains pour tenir leur convention. C’était une manière pour Barack Obama de « marquer en quelque sorte son territoire ». De plus s’il on regarde ses visites depuis sa victoire aux primaires, les ¾ des Etats visités sont des Etats en balance. Cette dimension locale rend les pronostics très difficiles.
Mais lors de l’élection, ce sera aussi Obama contre Obama. En effet, le sénateur de l’Illinois est relativement inconnu. Les gens ne connaissent pas très bien sa vie. On parle beaucoup de lui mais on ne le connait que par sa biographie. Les gens ne l’ont pas vu agir pendant des années. Il est nouveau dans le paysage politique américain. Ce handicap a été transformé en atout par Barack Obama qui se présente désormais comme le candidat du changement.
Donc je le répète, Barack Obama est le favori dans cette campagne mais il existe un certain nombre d’inconnues pesant sur l’élection. C’est donc une élection à suspens.
REU : Il y a quelques jours, une conférence était organisée à Science-Po intitulée « L’effet Obama en France ». Comment expliquez-vous l'engouement des étrangers à l'égard de Barack Obama ?
F. Durpaire : Il y a deux raisons à cela.
Tout d’abord, il faut préciser que ce qui assure le succès d’Obama à l’étranger est identique à ce qui assure son succès aux Etats-Unis. On dit de lui qu’il est une sorte de « caméléon ». C'est-à-dire qu’il plait à chaque frange de l’électorat américain et de l’opinion à l’étranger. Du côté de la France, c’est exactement la même chose : la gauche l’apprécie car il est situé à gauche du parti démocrate, les minorités visibles le soutiennent car il représente le symbole de l’ascension d’un noir, et ceux qui souhaitent une société unifiée font valoir qu’il tient des discours post-communautaires. En résumé chacun se retrouve dans la candidature de Barack Obama. Il a une dimension universelle.
Le deuxième élément réside dans le fait qu’il a une dimension particulière qui plait à l’étranger. Dans ces discours, Barack Obama met l’accent sur sa dimension internationale, ce qui est plutôt rare dans l’histoire américaine. Ce n’est d’ailleurs pas nécessairement un atout pour remporter les élections américaines. En ce qui concerne la diplomatie, Barack Obama explique qu’il est nécessaire de corriger l’image des Etats-Unis à l’étranger. Il parle beaucoup des relations de son pays avec le monde alors que sa rivale démocrate n’en a pratiquement pas parlé. De plus Barack Obama a vécu à l’étranger et est né à Hawaï. Il a souvent voyagé et a une partie de sa famille à l’étranger. C’est donc une personnalité internationale. Et il le dit lui-même lorsqu’il fait référence à ses fêtes de famille : nos fêtes ressemblent aux Nations-Unies. Il n’est pas très courant dans champ lexical des candidats américains de prendre comme référence l’ONU. Al Gore qui est désormais une personnalité reconnue à l’étranger n’est pas forcément reconnu de la même manière aux Etats-Unis. Mais il faut bien reconnaitre que Barack Obama intéresse beaucoup de personnes à l’étranger.
Cet intérêt a d’ailleurs commencé très tôt en France. Il a eu sa biographie traduite en Français il y a quelques mois. Tous les candidats à l’investiture n’ont pas leur biographie traduite dans une langue étrangère plusieurs mois avant leur investiture. Barack Obama a donc une particularité indéniable.
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